Armes nucléaires : le début de la fin ? partie 2

Comment l’État français assume-t-il son histoire coloniale en Algérie, en particulier concernant les conséquences de ses essais nucléaires dans le Sahara ? Quel rôle les citoyens·ennes et élu·e·s peuvent-ils·elles avoir vis-à-vis de la bombe atomique ? Par quelles étapes la France pourrait-elle concrètement passer pour ouvrir la voie au désarmement ? Voici quelques-unes des questions examinées dans la deuxième partie de ce podcast, avec Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements.

Pour écouter la première partie du podcast, c’est par ici.


Armes nucléaires : le début de la fin ? partie 2 sur 2
ICAN Dijon CEA

L’entretien, partie 2

Effectivement si on pousse le raisonnement de la dissuasion au bout, alors il faudrait que chaque pays, pour assurer la paix, ait sa propre bombe atomique.

Tout à fait.

Je voudrais qu’on passe à la question des déchets nucléaires. Il y a un rapport de l’historien Benjamin Stora qui porte sur la guerre d’Algérie qui vient d’être remis au Président de la République Emmanuel Macron. Peux-tu nous parler de ce rapport ? En quoi cela concerne-t-il la bombe atomique ? Est-ce que l’entrée en vigueur du TIAN engendre des obligations nouvelles pour l’État français vis-à-vis de ces déchets d’armes nucléaires ?

Pour mettre en place son arsenal nucléaire, la France a fait 210 essais nucléaires, 10 % de l’ensemble des essais nucléaires effectués dans le monde. Ce n’est pas négligeable. On a souvent l’habitude de dire que l’arme nucléaire a été utilisée à Hiroshima et Nagasaki et que sinon elle n’a jamais été utilisée. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu plus de 2000 explosions nucléaires dans le monde, qui ont toutes créé des déchets nucléaires importants, qui ont libéré dans l’atmosphère de la radioactivité de manière importante, et provoqué des conséquences pour les populations qui étaient à proximité de ces essais. La France a réalisé ses essais nucléaires dans deux zones : d’abord au Sahara, à une période où c’était encore la colonisation française dans cette région, même si la guerre d’Algérie pour l’indépendance avait déjà démarré. Entre 1960 et 1966, elle a réalisé 17 essais nucléaires dans cette zone, 4 atmosphériques et 13 souterrains, à flanc de montagne. Et 193 essais en Polynésie. Quand la France a cherché un site d’essai, elle a regardé notamment en Corse et dans d’autres régions, mais elle a cherché surtout à être le plus éloigné possible de la métropole, parce qu’elle savait très bien que ces essais auraient des conséquences. Et si on a choisi de les faire au Sahara ou en Polynésie, c’est bien pour éviter – puisqu’ils avaient regardé des sites dans le sud de la France aussi et en Corse – des conséquences humaines, sanitaires, environnementales trop importantes pour la métropole. En Algérie, une partie des essais s’est fait alors que la guerre se déroulait, et une autre partie s’est fait une fois l’indépendance obtenue. Mais la majorité des essais a été fait durant le début de l’indépendance de l’Algérie, suite à un accord avec le gouvernement algérien, qui n’a pas trop eu le choix, compte tenu du rapport de force, d’accepter que la France poursuive ses essais. D’ailleurs, ce qui a contribué à prolonger la guerre d’Algérie, le général de Gaulle et l’establishment politique français voulaient conserver le Sahara dans le giron français. Ils voulaient bien accorder l’indépendance du nord de l’Algérie aux Algériens, mais voulaient se conserver le Sahara pour continuer ses essais, et aussi parce qu’il y avait du pétrole dans cette zone. Mais l’Algérie n’a pas cédé sur l’intégrité de son territoire. Le compromis trouvé c’est celui de laisser la France poursuivre ses essais pendant 5 ans. Plutôt que de rapatrier les déchets provoqués par les essais, la France a tout simplement creusé des trous, et mis le matériel dedans. La France mettait des morceaux d’avions, des chars, pour mesurer les retombées sur ce matériel. On mettait aussi des animaux dans des cages pour mesurer la radioactivité qu’ils recevaient. Ces déchets ont été enterrés. Si on faisait des essais, c’est parce que la France ne maîtrisait pas cette technologie. Donc il y a eu des accidents. Notamment l’accident qui a eu lieu le 1er mai 1962 lors du tir Beryl, à flanc de montagne du Tan Afella, où de la lave radioactive est ressortie de la montagne. Cela a ébranlé la montagne. Cette lave est restée sur place. Encore aujourd’hui, la France n’a pas ramassé ces déchets, qui sont des déchets à une haute teneur en radioactivité, les a laissés sur place, à l’air libre. Elle a mis quelques barbelés mais qui ont été vite enlevés, puisqu’on est sur des zones où il y a du passage de nomades, du pâturage. Des personnes ou des animaux peuvent encore absorber de la radioactivité, puisque la radioactivité n’a pas d’odeur, ne se voit pas. Il faut des appareils pour la mesurer. Cet essai a eu lieu en 1962. Avec des équipes, on a pu y accéder en 2007, dans le cadre d’une mission effectuée en Algérie. Les scientifiques qui étaient avec nous qui ont mesuré la radioactivité qui émanait encore de cette lave radioactive, nous ont dit « En restant une vingtaine de minutes sur place, on absorbait la dose admissible pour un travailleur du nucléaire correspondant à un an ». Pour donner une idée de l’ampleur de la radioactivité qui est encore dégagée et que la la France aurait dû nettoyer.

Là, vous preniez 20 mSv en 20 minutes.

Oui, ce qui est énorme. La France aurait dû considérer ça comme des déchets nucléaires, les traiter comme tels, les rapatrier dans les sites de gestion des déchets nucléaires, même si on ne sait pas trop comment les traiter en tant que tels. On sait au moins comment les enrober, de façon à ce qu’ils ne dégagent pas une radioactivité importante pour l’environnement et les populations. La France ne l’a pas fait, et les a laissés sur place, donc en 1966-1967, le temps de démanteler les installations nucléaires. Ces déchets sont restés là. Avec l’Observatoire des armements, avec la campagne ICAN en France, nous avons publié un rapport pour rappeler l’existence de ces déchets, pour demander à ce que la France et l’Algérie mettent en place le plus vite possible – parce que ça fait quand même pas mal d’année qu’ils se sont déroulés. Il y a déjà eu des alertes lancées, des interpellations faites auprès du gouvernement depuis des années, à la fois par des associations algériennes et aussi françaises, pour que la France et l’Algérie se mettent d’accord, puisque maintenant l’Algérie est souveraine, donc cela nécessite un accord intergouvernemental pour nettoyer ces zones, pour réduire le risque pour les populations. Dans le désert algérien, il y a des populations qui vivent sur place.

On s’imagine que ce soit au Sahara ou en Polynésie, il n’y a pas du tout de population mais en fait c’est pas du tout comme ça.

Les mots sont importants : on parle de désert et dans l’imaginaire, le désert, il n’y a personne qui y vit. Non, dans le désert et en Polynésie, il y a des populations qui habitent en permanence sur place. Il y a des nomades qui traversent ces zones. Il y a des pâturages qui se font régulièrement, et donc des personnes qui sont à même d’être impactées dans leur vie de tous les jours par rapport à cette radioactivité et qui peut se répandre. Ça rentre dans la chaîne alimentaire, l’impact au niveau environnemental, c’est aussi dans l’eau. Elle peut se répandre de manière beaucoup plus large que sur le lieu même des essais. D’où l’importance, y compris en 2020, de nettoyer ces zones, de rapatrier ces déchets, de les traiter comme des déchets nucléaires, de ne pas les laisser à l’air libre. On a lancé cette nouvelle alerte, une nouvelle fois, pour demander au gouvernement d’assumer ce travail. Et dans le même temps, puisque la question de la mémoire des conséquences de la colonisation fait toujours problème entre la France et l’Algérie, le président Macron mais aussi le président algérien ont demandé chacun de leur côté à une personnalité d’établir un état des lieux de ces questions qui sont en suspens entre les deux pays, et de faire des recommandations. En France, le président Macron a confié à l’historien Benjamin Stora d’établir cet état des lieux des questions restant en suspens, et d’établir des recommandations. Il a établi son rapport, l’a rendu au Président Macron le 20 janvier 2021. Parmi ses recommandations, suite aux rencontres qu’on a pu avoir avec Benjamin Stora, il a bien sûr intégré la question des conséquences des essais nucléaires. Il reprend une partie des recommandations qu’on fait concernant la gestion des déchets. La limite qu’il peut y avoir au rapport de Benjamin Stora, c’est qu’il ne prend pas en compte la question de l’Impact sanitaire des essais, sans doute considérant que cette question est uniquement du ressort de l’Algérie mais pas de la France. Alors que nous, on pense qu’elle concerne aussi la France et que la France devrait s’impliquer dans cette question, ne serait-ce qu’en raison de la loi d’indemnisation et de reconnaissance des victimes des essais nucléaires mis en place par la France à partir de 2010, qui concerne l’ensemble des populations et des personnels concernés, quelle que soit leur nationalité. Cette loi devrait aussi permettre aux Algériens qui ont été impactés par la question des essais nucléaires, habitant dans ces zones, de pouvoir réclamer auprès de la France une indemnisation. Dans la pratique, seulement 49 personnes résidant en Algérie depuis 10 ans –la loi a été adoptée en 2010 – 49 personnes ont pu monter un dossier de demande d’indemnisation. Une seule personne a été indemnisée résidant en Algérie. Là encore, la France a une responsabilité et devrait favoriser la possibilité pour les Algériens de demander cette indemnisation. Par rapport à la Polynésie, le CIVEN, l’organisme chargé d’examiner les dossiers de demande d’indemnisation, a envoyé des missions en Polynésie pour aider les populations polynésiennes à monter un dossier de demande d’indemnisation. Cela s’est fait car il y a eu pression de la société civile et des associations. Toutes ces avancées ne sont obtenues que parce qu’il y a une pression exercée et un regroupement des gens en associations pour faire ce travail. En Polynésie, il y a eu 63 personnes à ce jour qui ont été indemnisées, et d’autres dossiers sont en cours d’examen et il y en aura beaucoup d’autres. En Algérie, il faudrait faire la même chose, il faudrait que le CIVEN, en accord avec le gouvernement algérien, envoie une mission pour mettre en place ces dossiers, dans lequel il faut des preuves administratives, il faut que la personne ait eu une maladie radio-induite, c’est-à-dire dans une liste de maladies décidée par décret. Il y a un certain nombre de conditions, mais il y a un certain nombre de personnes, en Algérie qui rentrent dans ces catégories, mais il faudrait qu’ils connaissent la loi, la manière de monter un de dossier, pour pouvoir bénéficier de cette indemnisation. Il y a tout un pan de travail qui doit être mis en place et qui concerne des populations impactées par notre responsabilité, et sur lequel on a un devoir d’assistance à mettre en place.

Cette question des essais nucléaires français en Algérie, c’est un dossier qui n’est pas du tout refermé, bien au contraire. J’invite les auditeurs et auditrices à visionner le film documentaire At(h)ome, d’Élisabeth Leuvrey, qui s’intéresse en particulier à ce sujet, qui permet de se rendre bien mieux compte de la situation sur place et qui s’intéresse notamment à l’accident de Béryl, dont tu parlais tout à l’heure. Je te propose qu’on passe au dernier sujet, que tu as déjà évoqué plusieurs fois : dans quelle mesure les citoyens, les citoyennes, les ONG, les associations, peuvent s’impliquer sur le sujet des armes nucléaires ? Quel rôle les parlementaires, les municipalités peuvent-ils avoir ?

Comme j’ai pu le dire à plusieurs reprises, toutes les avancées en la matière viendront uniquement s’il y a une mobilisation de la société civile, à tous les niveaux pour l’obtenir. Ce ne seront pas les États qui d’eux-mêmes prendront des décisions de ce côté-là, pour différentes raisons. L’État ne veut pas reconnaître qu’il met sciemment sa population en danger avec la fabrication des armes nucléaires, et encore moins avec leur utilisation. Toutes les avancées ont été obtenues parce qu’il y a eu mobilisation, à tous les niveaux. Le premier niveau, c’est d’en débattre, d’en prendre conscience. Un débat comme aujourd’hui est important parce que cela permet d’y contribuer. C’est très important qu’il y ait plus d’échanges, puisque tout est fait pour qu’on ne cause pas de cette question, que ça soit dans l’enseignement, on n’en parle pas, de ces armes, et des conséquences qu’elles peuvent avoir, alors qu’on devrait être formé aussi à cela. Dans la mesure où la France a fait ce choix, il devrait y avoir un débat, cela devrait être un choix résultant d’un débat démocratique, alors que ce n’est pas du tout le cas. Il n’y a pas de débat. Au moment des élections législatives et surtout présidentielles, on n’en débat pas. Alors qu’il faut se souvenir que si, en France, il a été fait le choix d’avoir une élection présidentielle au suffrage universel, en 1962, c’était pour donner la légitimité au président de la République d’appuyer sur le bouton, de décider seul d’utiliser cette arme pour exterminer l’équivalent de la France ailleurs. Lors de l’élection présidentielle, on ne débat pas de cette responsabilité énorme confié à un seul homme, ou une seule femme. On devrait en débattre, de manière importante, et cela devrait peser dans le choix du candidat pour lequel on vote, de lui confier cette responsabilité. Chaque fois qu’on met notre bulletin de vote, tous les cinq ans, il faudrait avoir cette question en tête. À qui on accepte de confier cette responsabilité, ce pouvoir énorme, presque inhumain, à une seule personne. C’est pour ça que c’est important d’en débattre à tous les niveaux. Il y a des choses concrètes que les associations peuvent faire pour faire avancer ce débat, de façon à faire inverser ce processus, pour que la France rentre dans un processus d’élimination des armes nucléaires. Au nveau des villes, les municipalités, les maires sont chargés d’assurer la sécurité de leurs citoyens. Comment peuvent-ils assurer la sécurité de leurs citoyens si une bombe nucléaire est utilisée et tombe sur la ville ? Ils ne peuvent pas. Donc ils ont la responsabilité d’interpeler le gouvernement. À partir du moment où on est une puissance nucléaire, on est aussi en même temps une cible des autres puissances nucléaires. Donc en tant que maire chargé de la sécurité de leurs citoyens, ils ne peuvent pas l’assurer. Si une bombe nucléaire tombe, tout est désorganisé, il y a incapacité à assurer la sécurité de leurs citoyens. Ils ont une responsabilité. À nous d’aller auprès des élus municipaux et des maires, pour leur demander « Qu’est-ce que vous faites si une bombe tombe sur notre ville ? Comment pourrez-vous mettre en place des secours ? Comment vous pourrez assurer notre sécurité ? » De leur demander aussi d’agir pour l’élimination des armes nucléaires. Il y a, après, les parlementaires qui ont une responsabilité aussi. Les parlementaires, c’est nous qui les élisons. Mais une fois élus, ça ne suffit pas de les élire tous les cinq ans. Il faut suivre le mandat qu’on leur a confié, et de voir comment ils utilisent le pouvoir qu’on leur a confié. Donc de continuer à les interpeler : « tous les ans, vous votez le budget pour les armes nucléaires. Quelle est votre position ? Pourquoi acceptez-vous que la France dépense 6 milliards, au minimum, pour ces armes de destruction, alors que ce qui permet d’assurer la sécurité des gens, de créer du lien social, c’est la santé, c’est les dépenses pour l’environnement, c’est les dépenses sociales pour réduire les inégalités entre tous. C’est ça qui assure la paix dans le monde, pas les armes nucléaires. Donc pourquoi vous votez pour ces armes ? Qu’est-ce que vous faites ? » Au niveau du Parlement notamment, il y a aussi une forme d’irresponsabilité. On laisse le gouvernement faire, on n’assume pas. Alors que c’est le rôle des parlementaires de contrôler l’action du gouvernement. C’est leur rôle de faire la loi, mais aussi de contrôler l’action du gouvernement. Sur ce domaine, ils ne l’exercent pas. Un exemple tout simple de leur manque de volonté politique : suite au travail des différentes associations, en 2018, un rapport a été fait au niveau de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, sur les questions de l’arme nucléaire. Un rapport préconise un certain nombre de recommandations, adopté à l’unanimité par la commission en 2018. Dans ces recommandations, il y avait notamment la mise en place d’une délégation pour suivre les questions de désarmement, de non-prolifération nucléaire, pour suivre ce travail et voir ce que fait le gouvernement. Juillet 2018, cette recommandation est adoptée. On est en février 2021, cette délégation n’a toujours pas été mise en place. C’est de la responsabilité des parlementaires eux-mêmes. Là encore, à chacun de nous d’aller voir son parlementaire « qu’est-ce que vous faites par rapport à cette question ? On vous a élu, c’est aussi pour contrôler l’action du gouvernement. Qu’est-ce que vous faites ? comment vous votez chaque année quand il y a le vote du budget, dont les armes nucléaires ? » Là aussi, on a du travail du travail à faire. Il y a aussi dans les médias, En tant que lecteur, on a aussi à interpeler les médias. Pourquoi vous parlez rarement des armes nucléaires ? Ils en parlent des armes nucléaires, mais toujours en termes « Le problème, c’est l’Iran. Le problème, c’est la Corée du Nord ». Est-ce que le problème, c’est pas aussi nos armes nucléaires ? Si la France estime qu’elle a besoin de ses armes nucléaires, pourquoi la Corée du Nord n’aurait pas aussi besoin des armes nucléaires pour exister dans le monde ? Il faut faire le lien entre tout ça. Il faut en débattre de manière globale. Si l’Iran veut des armes nucléaires, pourquoi on ne discute pas des armes nucléaires d’Israël ? Toutes ces questions doivent être mises sur la place publique. Elles le seront si on fait des courriers de lecteurs, si on intervient auprès des journaux, des radios, des télévisions. Quand il y a des émissions comme « Le téléphone sonne » ou « 28 minutes » qui abordent ces questions, il faut qu’on use de notre pouvoir de citoyen, de lecteur. C’est à ce moment là où on multipliera toutes ces initiatives que s’ouvrira un réel débat en France sur la pertinence d’avoir ces armes, à quoi ça sert de mettre autant d’argent dans ces armes. Et que peut-être on arrivera à infléchir la position de la France. Le pouvoir est entre nos mains.

Une avant-dernière question : Jean-Luc Mélenchon se présente comme candidat pour la prochaine élection présidentielle, en disant qu’il était favorable à ce que la France signe le traité sur l’interdiction des armes nucléaires, mais que, en même temps, il pense plutôt que c’est d’abord aux États-Unis et à la Russie de se désarmer avant que la France le fasse. Est-ce que tu penses que pour la prochaine élection présidentielle la question de l’arme nucléaire et de l’opportunité pour la France de conserver son arsenal, cela pourrait être un enjeu électoral ?

Il faudrait que cela le devienne, justement pour qu’on puisse avancer sur cette question. C’est vrai que Jean‑Luc Mélenchon a un tout petit peu évolué sur la question, puisque jusqu’à présent il disait simplement : « Faut que les autres commencent à désarmer et puis après la France pourra participer, la France a juste à proposer que les cinq puissances nucléaires se mettent autour d’une table pour discuter. » Je le dis de manière un peu de manière un peu caricaturale mais c’est quand même le fond de sa pensée. Des initiatives pourraient être prises pour la France pour enclencher ce processus de désarmement. Puisqu’elle a des armes nucléaires, il ne suffit pas simplement de dire « On n’en a que 300 donc il faut que les États-Unis et la Russie soient au même niveau que nous avant qu’on commence à désarmer. » La France pourrait prendre des initiatives pour être crédible sur sa volonté politique d’aller vers le désarmement nucléaire, et de ne pas être simplement dans le discours. En proposant des gestes en premier, pour montrer sa bonne volonté. Par exemple, la force nucléaire française repose sur deux composantes, une aérienne, donc les Rafales qui peuvent porter une bombe, l’équivalent de 20 fois celle d’Hiroshima, et les sous-marins nucléaires, qui ont à l’intérieur l’équivalent de 1000 fois Hiroshima, qui sont en permanence à la mer. Elle pourrait tout à fait décider, pour montrer sa bonne volonté, de supprimer la composante aérienne, d’autant plus que les Rafales sont destinés, selon la doctrine officielle, à lancer une frappe « d’ultime avertissement » selon les mots utilisés. Ce qui veut dire une frappe en premier. C’est-à-dire tirer sur un pays même s’il n’a pas envoyé ses bombes nucléaires sur la France. C’est donc rentrer dans une guerre nucléaire que la France pourrait faire en premier. Donc on pourrait tout à fait décider de supprimer cette composante aérienne de manière unilatérale, comme preuve de sa volonté d’aller vers le désarmement nucléaire, en demandant aux autres puissances nucléaires « Réunissons-nous autour d’une table, établissons un plan. » Il ne faudrait pas simplement les cinq membres du Conseil de sécurité mais les neuf puissances nucléaires. Elles savent se réunir si elles le veulent. Mettons en place un plan de désarmement concerté progressif avec des instruments de vérification. On sait faire si on veut. C’est simplement une question de volonté politique. Dans la prochaine échéance présidentielle, par exemple, cette initiative de proposer un geste de bonne volonté et l’ouverture de négociations entre les puissances nucléaires serait quelque chose de tout à fait réaliste, qui devrait figurer dans le débat. On espère que cela sera repris par d’autres partis politiques. Le courant écologiste a bien sûr dans son programme le désarmement nucléaire, mais c’est le dernier point de son programme, et ce n’est jamais mis en avant dans le débat. Il faut que ça soit mis en avant pour ouvrir ce débat et permettre de progresser vers un désarmement nucléaire, avant qu’une catastrophe nucléaire arrive, que ça soit par accident ou que ça soit par volonté politique dans certaines régions du monde.

Merci beaucoup Patrice pour tous ces éléments. Est-ce que tu aurais un dernier élément à rajouter pour conclure ?

C’est le type de débat qu’il faut multiplier et renouveler, avec différentes personnes, en prenant des angles différents, mais il faut multiplier ce type de débat de façon à ce qu’on se pose collectivement la question de quelle utilité ont ces armes, et quel risque elles font peser sur nous au quotidien, quel coût elles ont pour la société, qui vient obérer évidemment des moyens pour d’autres actions qui seraient plus bénéfiques pour la paix et la population. Il faut multiplier ce type de débat, au niveau de l’Observatoire et de la campagne ICAN, on est totalement disponible pour les multiplier et donc à chacun de faire ce travail.