Armes nucléaires : le début de la fin ? partie 1

Qu’est-ce que le TIAN ? Ce traité constitue-t-il un nouveau moyen de pression contre les États dotés de l’arme nucléaire ? Comment l’État français justifie-t-il l’existence de son arsenal ? Le nucléaire civil est-il le premier pas vers l’acquisition de la bombe ? N’est-il pas utopique de se désarmer tant que la Corée du Nord est munie de la bombe ? Voici quelques-unes des questions examinées dans la première partie de ce podcast, avec Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements.


Armes nucléaires : le début de la fin ? partie 1 sur 2
ICAN TIAN

L’entretien, partie 1

Bonjour Patrice, tu es le directeur de l’Observatoire des armements, est-ce que tu pourrais te présenter, toi ainsi que ton organisation ?

L’Observatoire des armements est un centre d’expertise indépendant que l’on a créé il y a maintenant plus de 30 ans, pour justement essayer de développer le débat en France sur les questions touchant les transferts d’armes et l’élimination des armes nucléaires, donc avec une particularité sur la question des armes nucléaires donc toute la question des conséquences des essais nucléaires qui était pas du tout abordée en France et de façon à pouvoir faire bouger les lignes sur ces questions-là. Donc en même temps dans ce cadre-là, l’Observatoire est membre de la campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, et je suis co porte-parole de cette campagne.

On va revenir très vite sur la question de ICAN et du TIAN. Donc si je comprends bien, vous avez une double casquette à la fois sur les armements conventionnels et sur les armements nucléaires.

Tout à fait, on se limite à ces deux thématiques là pour essayer de pouvoir faire bouger les lignes. Sur les transferts d’armes c’est d’obtenir plus de transparence et bien évidemment une limitation des ventes d’armes de la France dans les pays en priorité dans les pays où elles sont utilisées, ce qui est le cas quand même en général, notamment au Moyen-Orient. Et puis sur les armes nucléaires c’est bien aussi dans l’objectif d’obtenir leur élimination. Mais on a ces deux thématiques sur lesquelles on essaie de travailler et on essaie de travailler surtout sur la place de la France dans ces thématiques-là, puisque la France est un pays très militarisé, on va dire dans sa conception, c’est quand même le troisième exportateur d’armes dans le monde. C’est aussi la 4e puissance nucléaire dans le monde. C’est un pays qui a toujours beaucoup investi dans la puissance militaire pour asseoir sa domination et sa place dans le monde.

Le positionnement de la France, les choix politiques de la France, on va y revenir. Je te propose qu’on s’attaque aujourd’hui à 4 thèmes. Tout d’abord le TIAN : le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Puis on dézoomera, on s’intéressera au contexte mondial pour faire un état des lieux de la bombe atomique au niveau mondial. On s’intéressera plus spécifiquement aussi au cas français. Et puis on terminera en s’intéressant à l’arme nucléaire non pas seulement comme un objet de débat lointain, mais aussi comme un objet de lutte pour lequel les citoyens et les citoyennes peuvent s’impliquer, et on essaiera de voir comment. Alors, première question, est-ce que tu peux nous expliquer c’est quoi le TIAN, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires ?

Jusqu’à présent les armes nucléaires étaient les seules armes de destruction massive qui n’étaient pas illégales au niveau du droit international. Depuis maintenant récemment, puisque c’est le 22 janvier que le traité sur l’interdiction des armes nucléaires est entré en vigueur. Ce traité a été obtenu grâce à l’action citoyenne, à la mobilisation dans les différents pays au niveau international, parce qu’au niveau de l’ONU, même si depuis sa création, l’ONU avait annoncé en tout cas sa volonté que cette arme sont interdite puisque la première résolution adoptée par la première assemblée générale de l’ONU en janvier 1946, donc la toute première concernait justement la mise en place d’un comité chargé d’interdire les armes nucléaires. Et pourtant il a fallu attendre 75 ans, 76 ans pour qu’on passe de cette volonté manifestée par la communauté internationale à l’interdiction concrète, réelle, à son inscription dans le droit international. Pourquoi ? tout simplement parce que certaines puissances, qui étaient et qui sont toujours les puissances dominantes, notamment les États-Unis qui sont le premier État à avoir utilisé l’arme nucléaire contre des populations, contre un pays donc Hiroshima et Nagasaki, 6 et 9 août 1945, bien évidemment n’étaient pas prêts à lâcher, à abandonner cette arme-là. Et après, on est rentré dans cette course aux armements qui a fait que la Russie a obtenu, l’Union soviétique avant que ça soit uniquement la Russie a obtenu aussi cette arme-là. La France, le Royaume-Uni, la Chine sont rentrés dans la course aux armements. Ces cinq pays-là étaient membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ils avaient donc un droit de veto sur toutes les décisions et donc ont pu empêcher, durant toutes ces années que les Nations Unies adoptent un traité d’interdiction. Parce que c’est bien ça qui s’est passé : ils ont empêché que cette arme-là soit interdite. Ils ont interdit aux autres de l’avoir, évidemment, à travers la mise en place du traité de non-prolifération, dans les années 1968 1970, à une période justement où ils craignaient que trop de puissances puissent avoir accès à cette arme puisque à l’époque on disait qu’une quarantaine d’États pourraient avoir accès à cette arme-là. Donc ils ont mis en place un traité qui interdit aux États qui ne l’ont pas encore d’avoir cette arme-là, mais tout en se conservant le droit de l’avoir, et sous l’argument qu’ils allaient négocier un traité d’interdiction. C’est le fameux article 6 du traité de non-prolifération, entré en vigueur en 1970, dans lequel les États s’engagent à négocier de bonne foi et à une date rapprochée un désarmement nucléaire général. Sauf que, peut-être qu’ils ont négocié, mais pour autant sans avoir la volonté d’éliminer l’arme nucléaire pour eux. Tout en empêchant les autres de l’avoir c’est-à-dire pour maintenir ce différentiel de puissance, cette arme de domination et de terreur, qu’ils conservaient pour eux mais qu’ils empêchaient les autres d’exercer. C’est de là les autres États qui ont respecté leur part de marché, mais surtout la pression de la société civile qui s’est organisée dans des campagnes. Depuis la création de la bombe nucléaire il y a des campagnes de la société civile pour obtenir son élimination. Mais ces campagnes, pendant des années essayaient en quelque sorte de faire pression sur les États qui ont l’arme nucléaire pour qu’ils l’abandonnent.

À partir des années 2006 2007, quand a été lancée la campagne ICAN, on a renversé la situation. On s’appuie sur les États qui respectaient le traité de non-prolifération en n’accédant pas à l’arme nucléaire pour mettre en place ce traité d’interdiction de façon ensuite à faire pression sur les États qui le possèdent et puis surtout à rendre cette arme-là illégale. Donc c’est ce processus qui s’est passé en 2007, avec le lancement de la campagne ICAN, campagne pour abolir les armes nucléaires. Ça a mis dix ans, à travers différentes conférences, différentes actions qui ont été menées, de façon à ce que les Nations-Unies à l’intérieur de l’assemblée générale de manière majoritaire puisque normalement l’assemblée générale repose « un État, une voix ». Un certain nombre d’États ont réussi à obtenir qu’une résolution soit votée pour l’ouverture de négociations sur un traité d’interdiction. C’est le processus habituel des Nations Unies pour tous les autres traités existants. Ces négociations ont eu lieu durant l’année 2017. Un traité a été adopté à la majorité des États, c’est-à-dire par 122 États des Nations Unies. Un seul contre, et une abstention. L’État contre étant les Pays-Bas, qui étaient pourtant une puissance membres de l’OTAN, ayant des armes nucléaires sur son sol américaines mais qui a participé aux négociations, c’est la seule. Les autres États nucléaires ou leurs alliés ont refusé de participer aux négociations, faisons fi de la démocratie internationale, même s’ils s’en veulent les porte-paroles sur tous les autres sujets, sauf sur ce sujet-là. Et donc un traité a été adopté et après on rentre dans le processus des traités c’est-à-dire qu’il est ouvert à la signature puisque la communauté internationale, au niveau de son fonctionnement, repose sur le principe de souveraineté, chaque État étant libre de faire ce qu’il veut et n’étant impliqué par les engagements que si lui-même s’engage dans ces traités. Donc le traité sur l’interdiction des armes nucléaires a été ouvert à la signature en septembre 2017. Il fallait pour qu’il rentre en vigueur que 50 États déposent leurs instruments de ratification. Il y a une double procédure au niveau des Nations Unies : la première procédure est la signature qui la déclaration politique que l’État est d’accord avec ce traité en cours. Et après, il faut qu’il l’intègre dans son droit national, pour qu’il ait l’obligation de le mettre en œuvre. C’est ce qu’on appelle la ratification des traités. Donc 50 États l’ont ratifié. Aujourd’hui on en est à 52 États qui l’ont ratifié, et donc c’est ce qui a permis son entrée en vigueur le 22 janvier 2021. Ce qui en fait la nouvelle norme au niveau du droit international : les armes nucléaires sont illégales, à la fois le fait d’en avoir, de les fabriquer, d’en faire le commerce, de les utiliser bien évidemment, y compris dans la menace d’utilisation, c’est-à-dire la stratégie de dissuasion nucléaire qui est mise en œuvre en France mais aussi dans les autres puissances nucléaires, c’est-à-dire de menacer les autres de l’utiliser s’ils ne respectent pas nos volontés ou s’ils font des choses sur lesquelles on n’est pas d’accord, parce que c’est ça que ça que ça veut dire. Un outil de pression, de menace de la terreur exercée à leur encontre. Il interdit aussi, ce qui est nouveau le financement de ces armes-là. À l’heure où le monde est globalisé, c’est des choses importantes puisque les institutions financières peuvent être dans un autre pays que celui qui fabrique les armes. Donc ça peut créer des outils de pression sur les puissances nucléaires. Il intègre aussi – ce qui est important et qui n’était pas dans les autres traités justement d’interdiction notamment des essais nucléaires –  il intègre aussi pour les États qui le ratifient de prendre en charge les victimes des essais nucléaires, et de réparer aussi les dégâts environnementaux qui auraient été provoqués par les essais nucléaires. Ça c’est une nouveauté de ce traité. Voilà les principaux points que permet ce traité-là, avec toute la difficulté qu’on va rencontrer maintenant, c’est d’amener les puissances nucléaires ou leurs alliés à rentrer dans ce processus-là. Puisqu’un État peut y rentrer à n’importe quel moment, bien évidemment, depuis qu’il est ouvert à la signature, depuis septembre 2017, pour participer au traité, un État doit l’intégrer dans son droit interne. Il doit présenter aux autres un état des lieux de sa situation par rapport aux armes nucléaires. Donc pour les puissances nucléaires, ça s’accompagne d’un plan élimination de leurs armes. Ça ne veut pas dire qu’il les élimine du jour au lendemain parce qu’on comprend bien que c’est un processus technique qui peut être compliqué. Mais il doit présenter un plan avec des échéances, avec des choses extrêmement précises pour par rapport à ses armes nucléaires et intégrer le traité. Donc les puissances nucléaires actuelles peuvent tout à fait rejoindre ce traité, soit ensemble, soit les unes sur les unes après les autres, en présentant ce plan, et après elles seront obligées de le mettre en œuvre. Puisque sinon il y aura des sanctions qui pourront être prises à leur encontre par les autres États membres de ce traité. Voilà où on en est aujourd’hui. Au niveau du rapport de force, quelque part puisqu’un traité est toujours le résultat d’un rapport de force entre différents courants. Au niveau du traité sur l’interdiction à ce jour 70 % des États de la planète sont en faveur de ce traité, donc une large majorité de la communauté internationale. Ce qui se décompose entre 52 États qui l’ont déjà ratifié, 36 autres États qui sont signataires et qui ont lancé en interne les procédures de ratification de ce traité. Et 50 autres États qui ont déclaré le soutenir, mais qui n’ont pas encore démarré les procédures de signature, d’engagement en termes de signature de ratification. Dans ce rapport de force, ce qui est intéressant de noter qu’il y a aussi, en plus de 138 États qui sont en faveur, 17 États, dont des puissances européennes, je pense à la Suisse notamment, qui sont pour le moment indécis, c’est-à-dire qu’à l’intérieur de leur société, il y a un débat pour savoir s’ils vont le ratifier ou pas. Dans les États réellement opposés, il y a 42 États qui sont opposés de manière forte, c’est-à-dire les neuf puissances nucléaires, qui ne veulent pas se dessaisir de ce qu’ils estiment être un avantage et qui ne veulent pas se plier à la démocratie internationale. Et puis, outre ces neuf États puissances nucléaires, il y a aussi les puissances essentiellement membres de l’OTAN, qui sont sous parapluie nucléaire américain, ou deux États qui sont sous parapluie nucléaire russe. Parmi ceux qui qui sont sous parapluie nucléaire américain, 31 États, il y en a 5, des États européens, qui détiennent aussi sur leur sol des armes nucléaires américaines dans le cadre de l’OTAN et du parapluie nucléaire qui a été mis en place. C’est Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Turquie et Italie. Côté russe, c’est l’Arménie et la Biélorussie qui sont sous parapluie nucléaire russe mais qui n’ont pas d’armes russes sur leur sol, mais qui sont déclarés sous le parapluie nucléaire de la Russie. Voilà un état des lieux rapide. Ce qu’on se rend compte, c’est que c’est en Europe qu’il y a le plus d’États favorables à l’arme nucléaire. Outre la France, puissance nucléaire, il y a aussi tous les États membres de l’OTAN, à la fois ceux qui ont des armes nucléaires américaines et ceux qui sont membres de l’OTAN et qui se sont placés sous le parapluie nucléaire américain pour assurer, soi-disant, leur sécurité mais surtout pour se mettre sous la tutelle américaine en espérant que cela favorisera leur place dans le monde et leur permettra de bénéficier d’avantages économiques.

Sur la partie interdiction de financement des armes nucléaires, cette interdiction s’applique autant à des États qu’à des banques ou à n’importe quelle institution, je suppose ?

Il faut distinguer le point de vue purement juridique en termes d’obligation réelle et en termes d’outil de pression. D’un point de vue purement juridique, le Président Macron s’est dépêché de le rappeler dans ses interventions, un acteur privé dépend de l’État dans lequel il est, bien évidemment au niveau juridique. Et si cet État-là n’a pas pris des engagements juridiques, il n’est pas, d’un point de vue de droit international, directement concerné. Mais la réalité est totalement différente pour les institutions financières qui, depuis des années, sont soumises à la pression citoyenne de respecter les engagements internationaux, même si leur État ne s’y est pas engagé. On le voit beaucoup au niveau climatique notamment. Là où ça nous offre justement un outil de pression, c’est que ces institutions financières n’existent que parce qu’elles ont des clients, et ces clients peuvent exercer sur ces institutions financières une pression. Et comme on est dans un monde de plus en plus globalisé, des institutions financières, y compris françaises, peuvent avoir des investissements, des actions dans des entreprises travaillant pour l’armement nucléaire, en France mais aussi dans d’autres pays, et vice-versa, les institutions financières de certains pays européens ou des fonds de pension américains peuvent eux aussi avoir des investissements dans des entreprises qui travaillent pour l’armement nucléaire en France. Donc c’est là où ça nous offre un outil de pression sur toutes les institutions financières pour leur demander comme elles le font sur des questions climatiques, sur les forêts, suite à des campagnes lancées par la société civile, ça nous offre le moyen de leur faire pression dessus, pour leur demander justement d’arrêter ces financements-là. Et certaines l’ont déjà fait. Beaucoup plus à l’étranger, notamment je pense à des gros fonds de pension en Allemagne, en Norvège, au Japon aussi ont décidé dans leurs règles de fonctionnement, d’arrêter de financer des entreprises, des industries travaillant pour l’armement nucléaire. Ça existe aussi en France, où il y a notamment le CIC, qui a dans ses règles de fonctionnement de ne pas financer les entreprises travaillant pour l’armement nucléaire. Mais c’est pas encore le cas pour des grosses banques comme la Société Générale, la BNP, le Crédit Agricole, qui n’ont pas ces règles-là encore intégrées, mais qui disent depuis quelques temps que s’il y a de nouvelles règles internationales qui se mettent en place, elles les respecteront. Donc c’est bien là-dessus qu’il faut qu’on fasse un travail de pression, chacun a son niveau, c’est-à-dire celui qui a un compte chez eux comme les différentes associations qui travaillent sur ces questions-là pour qu’elles mettent en œuvre leur parole, maintenant que le traité est rentré en vigueur et donc qu’il est la nouvelle norme internationale, qu’ils arrêtent de financer l’industrie d’armement nucléaire. Une industrie d’armement qui, en France actuellement justement commence à s’inquiéter de cette question-là. Il y a eu plusieurs articles, plusieurs prises de position de l’industrie d’armement s’inquiétant de ce risque de ne plus pouvoir bénéficier de financement par des institutions financières. Il faut bien être conscient que l’arme nucléaire est au final financé par chacun des citoyens à travers les impôts, à travers les impôts et les taxes de l’État. Mais pour fonctionner, pour se mettre en place, elles ont besoin de l’aide des banques et des institutions financières. Et c’est bien ça qui les inquiète. Parce que si elles n’ont plus cette aide-là, fabriquer des armes nucléaires ne sera plus rentable pour elles, parce que ces entreprises-là, leur but, c’est pas l’objet en lui-même, c’est le fait de faire du profit, en fabriquant ces armes-là. Si elles ne peuvent plus bénéficier de l’aide des banques, ne peuvent plus faire de profit, elles feront autre chose. C’est bien là où on a un instrument de pression, au niveau citoyen, très important, qu’il faudra utiliser bien évidemment.

Ce que je comprends, c’est qu’à la fois le Traité sur interdiction des armes nucléaires permet d’avoir de nouveaux leviers sur lesquels jouer, pour faire pression sur les États dotés. Comment analyserais-tu le contexte géopolitique dans lequel s’inscrit le TIAN ? Les rivalités entre les grandes puissances se sont-elles exacerbées ces dernières années ?

Au niveau du contexte géopolitique, c’est sûr qu’on n’est pas dans une période de volonté de désarmement. Mais je ne sais pas si ces périodes-là ont vraiment existé. La rivalité entre les puissances a toujours existé. Mais, avec des évolutions grâce justement à l’implication de la société civile, ce qui a permis je crois notamment sur certaines zones du monde, il y a moins de conflits qui se sont développées notamment en Europe. C’est pas tant les armes nucléaires, comme ça nous est dit dans les discours officiels mais c’est bien plus par la mise en place de la coopération entre les différentes sociétés, par la coopération c’est vrai, à dominante économique qui est mise en place, l’interdépendance qui s’est créée entre les sociétés qui fait qu’on n’a pas eu de conflit majeur, notamment dans la zone Europe. La rivalité entre les grandes puissances, pendant toute la guerre froide. Ce qui a abouti à la fin de la guerre froide notamment entre les deux blocs, États-Unis on va dire le bloc occidental et la Russie, là encore c’est plus à l’intérieur même du bloc de l’Union soviétique, le non‑développement économique, et la résistance qui a été mise en place aussi progressivement par les sociétés civiles à travers ce qu’on appelait à l’époque les dissidents qui ont miné de l’Intérieur le bloc de l’Union soviétique, qui l’ont ruiné et qui ont fait que la guerre froide a pris fin. Bien plus que les armes nucléaires en tant que telles, puisque d’une part et heureusement elles n’ont pas été utilisées, mais elles n’ont pas joué ce rôle qu’on leur donne de manière aussi flagrante que les discours veulent bien leur accorder. C’est toujours quand la société civile essaie de faire bouger les choses, c’est par là que se passe les choses. Actuellement, on a une rivalité des puissances qui existe depuis tout le temps. Cette rivalité, actuellement, a une certaine forme d’exacerbation, c’est-à-dire que dans chacune des sociétés, l’économie libérale essaie de tirer au maximum les profils, d’exploiter au maximum les populations.

Corentin Brustlein, de l’Institut français des relations internationales, défendait sur France Culture une posture dite raisonnable, de dissuasion minimale, qui serait la posture de la France. Quelle différence y a-t-il entre posséder 300 têtes nucléaires comme la France, 6000 comme les États-Unis et 80 comme Israël ? Est-ce qu’un large arsenal procure un avantage ? Comment l’État français détermine-t-il le nombre d’armes qui est nécessaire à ce que ce qu’il nomme la dissuasion ?

La manière la plus simple d’expliquer est de partir de la posture française. Une centaine d’armes nucléaires suffit largement pour anéantir la planète plusieurs fois. La France a déterminé le nombre d’armes nucléaires dont elle avait besoin pour détruire l’équivalent de la France. Ce qu’on appelle « notre ennemi », donc c’est-à-dire pour pouvoir provoquer l’équivalent de 65 millions de morts. À l’époque, quand on a créé la force nucléaire, c’était du côté de la Russie qui était notre ennemi, c’était de pouvoir provoquer entre 50 et 60 millions de morts en Russie. C’était ça qui était à la base du positionnement du nombre d’armes nucléaires de la France. Ce que Brustlein appelle la « dissuasion minimum » c’est quand même détruire l’équivalent de la France. Je n’appelle pas ça une dissuasion minimum. Ce serait une destruction en plus post mortem, c’est-à-dire une fois que la France est détruite, on se venge parce que c’est quand même ça la stratégie au final, quand on revient sur des notions plus basiques mais plus pragmatiques, ça serait de se venger en détruisant aussi de manière équivalente celui qu’on estime être notre ennemi.

La Chine, qui est devenue une puissance économique aussi importante que les États-Unis si ce n’est même la première puissance économique, n’a pas estimé avoir besoin de se lancer dans une course aux armements nucléaires et d’avoir autant d’armes nucléaires que les États-Unis et la Russie, pour rentrer en concurrence avec eux sur ce plan-là. Elle a à peu près le même nombre d’armes nucléaires que la France. La France a 290-300, on sait pas exactement, il n’y a pas de transparence réelle là-dessus. La Chine est à 310-320 armes nucléaires, elle estime que ça lui suffit pour être reconnue comme puissance nucléaire. Israël, qui n’a pas une visée au niveau mondial mais qui a une visée d’être la puissance dominante au Moyen‑Orient a, selon les estimations, entre 80 et 150 armes nucléaires, on ne sait pas le chiffre précis, a largement de quoi détruire le Moyen‑Orient et de s’auto-détruire, parce que vu la région, si elle utilise ses armes nucléaires, elle en subirait les conséquences au niveau environnemental et sanitaire, et s’auto-détruirait. Donc la détermination du nombre d’armes nucléaires se fait plus en fonction de logique interne, c’est-à-dire du développement de l’industrie d’armement interne au propre pays et s’estime de façon à avoir une capacité de production, un savoir-faire de production de ces armes-là, plus que la capacité de détruire chez un ennemi potentiel, une surface ou un nombre de personnes suffisant. Car avec une centaine d’armes nucléaires, on détruit la planète. Donc avec 1500, on peut se demander à quoi ça sert. Si ce n’est à montrer qu’on est capable, qu’on a la puissance industrielle, économique, en termes de matière grise, d’être dominant dans ce secteur, comme dans les autres secteurs.

Tu as parlé du Moyen-Orient et d’Israël. Dernièrement, il y a eu une la mise en service d’une centrale nucléaire à Barakah, aux Émirats arabes unis, mise en service à laquelle la France a collaboré. À ma connaissance, c’est le premier réacteur du monde arabe à entrer en service. Est-ce que le nucléaire civil constitue un premier pas vers l’acquisition de l’arme nucléaire, que ce soit pour les Émirats arabes unis ou historiquement pour les autres États dotés.

Oui, mais pas pour tous les États dotés. La mise en place du nucléaire a d’abord été militaire, avec les États-Unis bien évidemment, et puis après la Russie et les autres pays. Et après, s’est développée l’industrie nucléaire civile dans un deuxième temps. Pour les pays qui n’ont pas développé dans les années 50 cette industrie‑là, c’est effectivement par le biais du nucléaire civil, qu’ils ont accédé à l’arme nucléaire, je pense, que ça soit Israël, que ça soit l’Inde, le Pakistan que ça soit la volonté de l’Irak ou l’Afrique du Sud. C’est bien en utilisant le civil pour développer un savoir-faire, une maîtrise de cette technologie‑là, et une capacité ensuite à enrichir de l’uranium pouvoir faire des bombes. Donc le nucléaire civil, oui, est un vecteur pour accéder à l’arme nucléaire. C’est un vecteur sur lequel le traité de non-prolifération permet aux États qui voudraient accéder à cette arme d’en posséder. Puisque tous les États de la planète peuvent accéder au nucléaire civil, grâce à l’aide des puissances nucléaires. la France a été un pays qui a beaucoup contribué à la prolifération nucléaire, continue indirectement à participer à cette prolifération nucléaire en permettant à des pays de développer une industrie nucléaire qui, après, peut basculer civile ou militaire, parce que d’un point de vue technique on est sur les mêmes éléments. Après c’est la volonté politique de faire une arme nucléaire ou non. C’est ce qui se passe vis-à-vis de l’Iran actuellement, à qui on reproche sa volonté de vouloir avoir l’arme nucléaire, au moment où l’Iran qui est membre du TNP, cherche à maîtriser l’ensemble des technologies nucléaires, au plus haut niveau, pour pouvoir basculer, au besoin, sur l’arme nucléaire, mais affirme toujours ne pas vouloir fabriquer d’arme nucléaire en tant que telle mais vouloir maîtriser tous les éléments de la chaîne qui lui permettraient de fabriquer l’arme nucléaire. C’est toute l’ambiguïté du droit international jusqu’à ce nouveau traité d’interdiction, le droit international lui permettait cela.

Qu’est-ce que tu répondrais à l’argument selon lequel on ne peut pas se débarrasser de nos armes nucléaires tant que des États comme la Corée du Nord en sont munis ?

On retombe sur la question de la volonté politique et du respect des engagements pris. Actuellement, les deux pays qui sont les plus avancés sur cette question… Enfin, la Corée du Nord est actuellement une puissance nucléaire. On ne sait pas exactement combien d’armes elle possède, mais c’est évident qu’elle possède des armes nucléaires. L’autre zone où il y a une volonté de prolifération, c’est le Moyen-Orient. Mais le Moyen-Orient, cette volonté de prolifération s’explique aussi beaucoup par le deux poids deux mesures qui existe sur cette zone‑là, vis-à-vis de l’arme nucléaire. Puisqu’au Moyen-Orient, il y a une puissance nucléaire : Israël. Depuis des années, avec l’accord tacite des grandes puissances dominantes, notamment des États-Unis, de la France, puisqu’Israël a pu mettre en place son arme nucléaire grâce à la France, il ne faut pas l’oublier, et avec l’accord des États-Unis, et sur lequel on n’exerce aucune pression pour qu’elle renonce à son arme nucléaire. Alors qu’on exerce une pression sur l’Iran depuis des années pour qu’elle n’accède pas à ce statut de puissance nucléaire, mais qu’elle reste en deçà de ce statut‑là. On a détruit un pays, l’Irak, avec toutes les conséquences qu’on connait aujourd’hui sur cette zone‑là, en termes de déstabilisation de la zone, on a détruit l’Irak, qui elle aussi voulait, avec l’aide de la France, voulait accéder au statut de puissance nucléaire par rapport au fait qu’Israël l’avait, pour être elle aussi en puissance de domination sur la zone du Moyen-Orient. Tant qu’on ne mettra pas sur la table la question des armes nucléaires d’Israël, comment peut-on exiger d’autres pays, l’Arabie Saoudite aujourd’hui ou les Émirats qui se posent la question aussi, pour dans dix ou vingt ans, être aussi en capacité de maîtriser le nucléaire. Tant qu’on ne mettra pas Israël sur la table dans les négociations, au nom de quoi pourrait-on empêcher un autre pays de vouloir obtenir ce qu’un pays présente comme sa garantie de survie ? Israël, comme la France et comme les autres pays, dit « On veut garder l’arme nucléaire parce que c’est notre garantie de liberté et de survie, pour notre pays ». Pourquoi notre pays aurait droit à sa liberté et à sa survie et empêcherait les autres d’y avoir droit ? Pourquoi il pourrait être en paix, parce que c’est aussi présenté comme ça, c’est ce qui nous permet de vivre en paix, et les autres pays n’auraient pas droit de vivre en paix ? Et si vraiment cette arme permettrait d’être libre et de vivre en paix, pourquoi il ne faudrait pas que chaque pays ait une ou deux armes nucléaires ? Comme ça, le monde serait en paix. On voit bien l’absurdité des arguments qui nous sont toujours présentés pour faire accepter cette arme, et que ce n’est pas ça, le fond du problème. C’est bien la question d’une arme de domination, et c’est bien pour ça qu’on empêche les autres de l’avoir pour garder cette domination sur les autres.

Et pour approfondir

Ouvrages et études

  • Interdire les armes nucléaires. Un rêve qui devient réalité ! Patrice Bouveret & Jean-Marie Collin, Fondation de l’écologie politique, 2019, 16 pages. Disponible par téléchargement sur : http://www.obsarm.org/spip.php?article326
  • Exigez ! le désarmement nucléaire global, Stéphane Hessel, Albert Jacquard et Observatoire des armements, Stock, 2012, 72 p., 5 €
  • BD Au nom de la bombe, Albert Drandov, Franckie Alarcon, Steinkis, 2e édition, février 2021, 104 p., 17 €
  • L’arme nucléaire, éliminons-la avant qu’elle nous élimine, Marc Finaud, L’Harmattan, 2020, 120 p., 14,50 €
  • Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie. Analyse au regard du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, Observatoire des armements & ICAN France, Fondation Heinrich Böll, 2020, 60 pages. Disponible par téléchargement sur : http://www.obsarm.org/spip.php?article341

Documentaires