Un millier de scientifiques contre la relance du nucléaire

Face à la relance d’un nouveau programme nucléaire imposé par l’État – comprenant notamment la construction de six réacteurs dits EPR2 à Gravelines, Penly et dans le Bugey – des scientifiques se sont réuni·es autour d’un texte appelant à refuser tout nouveau programme nucléaire. Si parmi ces scientifiques on trouve des physicien·nes et des ingénieur·es, nombre d’enseignant·es, médecins, sociologues, ainsi que des personnes non étiquetées comme scientifiques, ont également signé cet appel.

Cet appel fait écho à celui lancé dans la foulée du programme électronucléaire français, dit plan Messmer, du nom du premier ministre, en 1974.

Que vous soyez scientifique ou non, vous pouvez signer cet appel ici.

Le texte complet ci-dessous :

« Appel de scientifiques contre un nouveau programme nucléaire »
Juin 2023
Le 11 Février 1975 dans les colonnes du Monde, 400 scientifiques invitaient la population française à refuser l’installation des centrales nucléaires « tant qu’elle n’aura pas une claire conscience des risques et des conséquences ». Rappelant le caractère potentiellement effroyable d’un accident nucléaire, ils constataient que « le problème des déchets est traité avec légèreté », et que : « systématiquement, on minimise les risques, on cache les conséquences possibles, on rassure ».
La pertinence de cet appel, qui pourrait être repris quasiment mot pour mot aujourd’hui, a été largement confirmée dans les dernières décennies :
• Présentés à l’époque comme impossibles, les accidents graves ou majeurs se sont multipliés, entraînant des rejets massifs de matières radioactives. Ils ont touché aussi bien des coeurs de réacteurs (Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima) que des dépôts de déchets radioactifs ou des usines de combustible (Mayak, Tokaimura, WIPP, Asse).
• De vastes zones géographiques ont été ainsi rendues toxiques pour tous les êtres vivants et les irradiations et les contaminations radioactives continuent de faire de nombreuses victimes, y compris autour des installations en fonctionnement « normal ».
• L’industrie du nucléaire a officiellement accumulé en France plus de 2 millions de tonnes de déchets radioactifs, dont 200 000 tonnes dangereuses sur de longues périodes, un volume très sous estimé qui ne comptabilise ni les stériles et déchets miniers abandonnés à l’étranger, ni les « matières » destinées à un hypothétique réemploi (combustibles usés, uranium appauvri, uranium de retraitement…).
• Le démantèlement et la dépollution des sites déjà contaminés sont à peine engagés, s’annoncent excessivement longs et coûteux, et vont encore aggraver le bilan des déchets.
Force est de constater qu’après un demi-siècle de développement industriel, nous ne maîtrisons toujours pas les dangers de l’atome, et n’avons fait que repousser des problèmes annoncés de longue date.
Pourtant, hors de tout débat démocratique, et sans avoir procédé à un réel bilan des choix passés et des options qui s’offrent aujourd’hui, nos gouvernants s’apprêtent à relancer un nouveau programme électronucléaire. Sous prétexte d’urgence climatique, et sur la base d’arguments tronqués, simplistes, voire lourdement erronés, des lobbyistes disposant d’importants relais médiatiques s’emploient à organiser l’amnésie.
Rappelons que, pour stocker une fraction seulement des déchets les plus dangereux produits à ce jour en France, déchets qui selon certains « tiendraient dans une piscine olympique », on s’apprête à creuser 300 km de galeries sous un site de 29 km2, pour un coût provisoirement estimé entre 25 et 35 milliards d’euros, et ce sans certitude sur la durabilité de ce stockage aux échelles géologiques requises, de l’ordre d’au moins 100 000 ans.
Rappelons que les conséquences d’accidents majeurs tels que Tchernobyl et Fukushima ne peuvent se réduire à un petit nombre de morts « officiels ». Le fait qu’un bilan sanitaire et économique sérieux du drame de Tchernobyl ne soit toujours pas établi devrait interpeller tout esprit scientifique. Un large éventail de morbidités affecte les habitants des territoires contaminés : conditions de vie dégradées, paupérisation et stigmatisation seront leur lot pour des siècles.

Deux faits majeurs de notre actualité devraient plus que jamais nous alerter : le dérèglement climatique qui s’accélère, et la guerre en Ukraine. La raréfaction de l’eau douce et la réduction du débit des fleuves liés à une sécheresse bientôt chronique en France, tout autant que les risques de submersion des zones côtières dûs à l’élévation du niveau des océans et à la multiplication d’évènements climatiques extrêmes vont rendre très problématique l’exploitation des installations nucléaires. Miser sur de nouveaux réacteurs dont le premier serait au mieux mis en service en 2037 ne permettra en rien de réduire dès aujourd’hui et drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, comme l’urgence climatique l’exige. Par ailleurs, au-delà des horreurs de la guerre, la vulnérabilité de la centrale de Zaporijia menace l’Europe entière. Dans un tel contexte d’instabilité géopolitique, comment allons nous garantir la paix éternelle requise par le nucléaire ?
Dans l’immédiat, l’effort industriel et financier que représenterait ce nouveau programme détournerait pour longtemps les moyens nécessaires pour affronter les défis conjugués de la crise climatique, de l’effondrement du vivant, des pollutions généralisées et de l’épuisement des ressources. Le système électronucléaire est au contraire indissociable d’un modèle économique basé sur le productivisme et le gaspillage, qui doit prioritairement être revu.
Aujourd’hui, toute critique de la technologie nucléaire, soumise au double secret industriel et militaire, est devenue extrêmement difficile au sein des écoles, laboratoires et instituts qui lui sont liés. Mais les sciences de l’ingénieur n’ont le monopole ni du savoir ni de la légitimité pour décider
de notre avenir. Les sciences de la terre et du vivant, de la santé, les sciences sociales et économiques, les humanités et les lettres produisent des enquêtes, des analyses et des contre-récits sans lesquels nous ne saurions rien aujourd’hui des véritables conséquences de l’atome sur les sociétés, les milieux de vie et les populations, humaines et autres qu’humaines.

C’est pourquoi nous, femmes et hommes scientifiques, médecins, enseignants, ingénieurs, universitaires et chercheurs lançons cet appel à refuser tout nouveau programme nucléaire. A un choix imposé qui engagerait notre avenir sur le très long terme, nous opposons la nécessité d’élaborer démocratiquement et de manière décentralisée, à partir des territoires et des besoins, des propositions de rupture pour des politiques de sobriété, de transition énergétique, et de justice écologique.