Sauve qui peut ...

Le 7 novembre 2013, la préfecture de la Drôme, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC) / Mission nationale d’Appui à la gestion du Risque Nucléaire (MARN), l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) ont organisé conjointement un exercice national de crise nucléaire sur les installations d'EURODIF, situées sur le site AREVA Tricastin à Pierrelatte.

Dans le cadre du mandat de la FRAPNA Drôme à la Commission  Locale d'Information des Grands Équipement Énergétiques du Tricastin (CLIGEET), un de nos membre a pu participer à l'exercice en tant qu'observateur.

En préambule, il faut rappeler que lors de la dernière séance plénière de la CLIGEET, le représentant de la FRAPNA Drôme, interpelé par Monsieur ANTOINE lui même (représentant de la préfecture) avait ri au nez de ce dernier quand à la situation idyllique dépeinte par ce dernier en cas de mise en place d'un tel plan d'action pour faire face à un accident majeur en vallée du Rhône.

Bonne pomme, M DUFLOS, représentant de la FRAPNA a accepté de faire partie des observateurs de la mascarade annoncée.

L'école des Tamaris, à Bollène, dans le premier cercle du site nucléaire a été le point d'observation convenu entre les service de la préfecture et le secrétariat de la CLIGEET  pour accueillir M DUFLOS.

Début du sketch national ...

Arrivé à 9h00 , je prends contact avec l'équipe pédagogique de l'école, qui compte environ 130 élèves et 20 adultes.  La directrice est pleinement opérationnelle, il faut dire que l'exercice est en préparation depuis le début de la semaine, et qu'elle a mis du cœur à l'ouvrage pour que ce soit le plus pertinent possible. Ainsi, elle a avec l'unique chargeur de l'école, rechargé les talkiewalkies qui permettent aux équipes d'encadrement de communiquer en cas de confinement des élèves en pareille situation de crise nucléaire. Les locaux sont épars, et une fois confinés, sans électricité ni gsm, c'est bien le moyen le plus adéquat. Mais en situation réelle, nul doute que le délai de prévenance de 8 jours ne sera pas respecté ... En plus, alors que depuis 5 années elle s'acharne à faire remonter à sa hiérarchie les informations nécessaires à l'évolution des protocoles en pareille situation, le PPMS (Plan Particulier de Mise en Sûreté), elle a déjà débusqué les dit paragraphes qui n'ont jamais évolué depuis l'édition du document, et peut donc anticiper sur ce qui ne fonctionne pas comme prévu.

Ce n'est pourtant pas faute d'avoir prévenu, mais les rouleaux de scotch utiles à la mise en confinement des locaux ne seront donc pas présents ce matin là, et nous simulerons sans la moindre protection contre les infiltrations de radio éléments dans les bâtiment de l'école. D'un certain point de vue, c'est une bonne nouvelle, j'y reviendrai plus tard.

Alors que nous causions calmement, nous nous rendons compte qu'un groupe d’élèves est dans le couloir ... Nous interrogeons la maitresse qui nous dit : " ça y est, ça commence. Les élèves ont entendu un bruit, j'ai ouvert la fenêtre et je me suis rendu compte que l'on entendait la sirène de début d'exercice au loin, j'ai alors prévenu les autres classes"

Surprise, il est 9h20 et nous avons 5 minutes de retard quant au déclenchement de l'exercice. Imaginer un one man show avec un artiste au milieu de la scène, le rideau se lève et les spectateurs continuent à bavarder,tranquillement, pendant 5 minutes pour finir de se raconter des balivernes ... c'est peu crédible, et pourtant en matière de sûreté nucléaire, ça se passe comme ça !

Branle bas de combat !

La directrice, qui avait déjà réparti les talkiewalkie dans les bâtiments lance l'exercice. Nous voyons alors que les bambins s’agglutinent, en rang d'oignon, le long des murs du couloir principal, car c'est une "pièce" éloignée des fenêtres me dit-on ... Dubitatif, je regarde dans les classes, et effectivement, l'école ayant été construite à la hâte, dans les années 60, en même temps que la centrale qui domine la cour, les classes sont avec une vue imprenable sur les tours aéroréfrigérantes et les 2 éoliennes du site de production d'électricité ; de larges ouvertures de 1m50 par 2 mètres constituent les murs extérieurs. UN détail cependant attire mon attention. De larges et lourds volets roulants à manivelle les occultent. Je demande donc si l'exercice est aisé. La réponse est unanime : "comme nous savions que l'exercice allait avoir lieu, ce matin, nous n'avons pas ouvert les volets ... il sont lourds et difficiles à manipuler donc nous nous sommes épargné cette peine." Effectivement, alors que je cherchais à me garer aux abords de l'école, cette ambiance d'école endormie m'avait fait douter d'être au bon endroit. Je comprends mieux pourquoi.

Il y a un certain malaise dans ce couloir où s’agglutinent les enfants et où les adultes se regroupent, dans la pénombre, pour trouver une façon de tuer le temps. On ne sait pas combien de temps ça dure ...

Je décide d'aller voir ce qui se passe dans l'autre bâtiment. En traversant la cour, plus un bruit. Une équipe de femmes m'accueille, elles aussi ont à leurs pieds une cinquantaine d'enfants, des 3 ans, et commencent à s'impatienter que l'on sonne la fin de l'exercice. Je les interroge.

- Vous avez du scotch ici ?

- Non

- Vous avez une Radio ?

- Oui mais on n'a pas de piles ...

- Vous avez des vivres ?

- Oui, quelques tablettes de chocolat, des biscuits et 9 litres d'eau, pour 49 enfants et 5 adultes.

- Vous avez coupé la ventilation des locaux ?

- Non, on ne sait pas où c'est, et il n'y en à probablement pas, le bâtiment est ancien ... en arrivant ce matin il faisait 15-16°C, c'est tellement difficile à chauffer que la mairie coupe le chauffage dès 16h30 jusqu'au petit matin, pour faire des économies.

- Vous avez peur ?

- Non, nous attendons la fin de l’exercice.

- Mettez vous en situation : dans quelques mois, une alerte du même type se produit ; personne ne vous a dit qu'il y avait un exercice; vous réagissez comment ?

- On meurt. C'est le nucléaire, qu'est ce que vous voulez que nous fassions ? On meurt. En plus avec toutes les questions que vous posez, on se rend bien compte que nous ne sommes pas prêts à réellement nous protéger en cas de problème ... 

Une autre dame réagit:

- Moi , j'ai mon mari qui travaille au Tricastin. Il est pas pour le nucléaire ...

- Je comprends, et croyez moi, je suis sûr que s'il avait en charge la protection des populations, nous n'en serions pas là. Votre mari , il a une famille, une vie sociale, des crédits ... tout le monde a besoin de travail, mais hélas dans la vallée du Rhône, alors que rien ne nous a jamais été demandé, dans le secteur les centrales remplissent leur office et embauchent le peu de salariés dont elles ont besoin , et en période de vache maigre tout est bon à prendre. Je ne le blâme pas, je le comprends. Ni nous ni lui n'avons véritablement eu le choix du nucléaire, on a juste à faire avec ! Mais vous voyez bien qu'ici, rien n'est prévu pour quiconque, et je vous prie de croire que si par malheur un jour, une personne malveillante, ou un problème survenait au Tricastin, ces mêmes personnes qui nous demandent d'observer leur exercice seront les premières à quitter le territoire, à la façon des ingénieurs d'Areva qui étaient présents à Fukushima et qui ont fuit dès lors qu'ils ont compris l'ampleur de la catastrophe !!!

Que dire de plus, vous avez des centaines de gens qui sont laissés pour compte, sur le bas coté, sacrifiés pour que le lobby nucléaire fasse des profits, s'engraisse, pollue la planète entière ...

Je suis revenu profondément choqué ; au cours de cette visite, j'ai appris que le Plan Iode était caduque, à peine 90 doses pour 190 personnes initialement prévues ... que les personnels annexes( cantinière) étaient abandonnés , seuls à leur poste. Que les 4 employeurs de l'école - la Région, la Mairie, l'Intercommunalité et l’Éducation nationale - ne travaillaient pas ensemble. Seule l’Éducation nationale était au courant de l'exercice, les autres personnels ignoraient tout. Que le système d'alerte automatique téléphonique ne fonctionnait plus depuis que Orange avait dénoncé le contrat avec la sécurité civile; c'est devant les tribunaux maintenant ...

Bref, j'ai honte pour la France et son nucléaire en pointe, pour les services de l'Etat, et la préfecture en premier lieu.

J'ai mal pour les bambins qui en pareille situation ne reverraient pas leurs parents avant un certain temps, s'ils en réchappent ; pour les personnels scolaires, qui sont pris pour des rats de laboratoire et qui n'ont pas participé à l'élaboration des PPMS ( Plan Particulier de Mise en Sureté), pour l'avenir du pays en pareille situation.

J'ai honte de la Mairie de Bollène, qui gratte chaque centime jusqu'à provisionner moins que le minimum syndical en pareille situation pour ne pas faire exploser le budget. Le scotch pour le confinement n'était même pas dans le kits ...

Pour les stratégies choisies, il faudra repasser aussi. Si vous confinez des gens dans des espaces dont vous ne filtrez pas l'air, alors soit ils suffoquent (si c'est hermétique) soit ils concentrent la pollution (VMC non coupée, non filtrée ....).

Il y aurait encore tant à dire, mais je finirai ainsi : puisque les gens savent que le nucléaire les condamnent à mort, puisque rien ne marche comme dans les plans, puisque la panique et le sauve qui peut sont la seule chose prévisible, pourquoi continuer de mentir en gens, en leur disant d'un coté que le nucléaire est sûr et que de l'autre, en prévision de la catastrophe nous faisons des exercices ? Pour montrer la flamboyance du lobby, pour prouver l'inefficacité de la préfecture avec de pareilles mesures ...

Bref, la suite ce sera le 13 décembre, quand lors de la prochaine CLIGEET (Commission Locale d'Information des Grands Équipements Energétiques du Tricastin) les élus, les exploitants , l'ASN et les services  de la préfecture vont s'auto-congratuler de leur médiocrité flagrante et révélatrice d'un cancer nucléaire totalitaire qui petit à petit ruine par le haut et par le bas notre France, prise dans l'impasse atomique.

Pierric DUFLOS -Observateur accrédité de la CLIGEET.

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