L’épicentre du séisme de magnitude
5,4 intervenu peu avant midi le 11 novembre 2019 en vallée du Rhône est
situé à environ 13 kilomètres de la centrale nucléaire de Cruas et 28,5
kilomètres de celle du Tricastin.
Les autorités et les industriels
du nucléaire se sont voulus très rassurants hier après-midi en indiquant
qu’il n’y avait pas eu de conséquences notables sur la sûreté de ces deux
sites nucléaires. Les autorités ont annoncé hier soir que les réacteurs
de la centrale de Cruas étaient cependant mis à l’arrêt pour des examens
plus approfondis dans la mesure où l’un des capteurs du site avait
enregistré un niveau d’accélération supérieur au critère d’intervention.
Dès l’annonce du séisme, la
CRIIRAD s’est mise en situation de vigilance renforcée. Elle peut
confirmer que ses balises de surveillance en continu de la radioactivité
atmosphérique en Vallée du Rhône (Valence, Montélimar, Saint-Marcel
d’Ardèche, Avignon) n’ont mis en évidence aucune contamination ou
élévation anormale du rayonnement ambiant. Voir le site des balises CRIIRAD.
Cependant les recherches qu’elle a
effectuées ces dernières années ont conduit la CRIIRAD à s’interroger sur
la protection réelle des installations contre le risque sismique.
Tout d’abord parce que des « défauts de tenue au séisme » sont
identifiés régulièrement sur les équipements de très nombreux réacteurs
Les anomalies sont souvent
découvertes de façon fortuite et datent souvent de plusieurs années,
voire décennies, remontant parfois à la construction de l’installation.
Elles n’avaient été identifiées ni par l’exploitant, ni par les
contrôleurs ou leurs experts. Sont en cause des défauts de conception, de
réalisation, de surveillance, des défauts de prise en compte de
configurations à risque. Des défauts d’ancrage de certains auxiliaires
des groupes électrogènes d’ultime secours ont ainsi été détectés en 2017
sur 26 réacteurs nucléaires : cet équipement vital n’aurait pas résisté à
un fort séisme, entrainant la perte totale d’alimentation électrique ; la
même année, étaient découverts des problèmes de corrosion susceptibles de
conduire, en cas de séisme, à la rupture des tuyauteries et à
l’inondation de la station de pompage, provoquant pour 20 réacteurs la
perte totale de la source d’eau froide. Pas moins de 10 réacteurs[1]
étaient concernés par les deux anomalies, ce qui impliquait la perte
simultanée du système électrique et du système de refroidissement : le
même scénario catastrophe qu’à Fukushima. Dans beaucoup de cas, les
équipements n’auraient même pas résisté à un Séisme Maximal
Historiquement Vraisemblable (SMHV), a fortiori à un Séisme Majoré de
Sécurité (SMS).
Le deuxième axe d’interrogation concerne justement la détermination
des SMHV et SMS et l’insuffisance des marges de sécurité.
La détermination du risque sismique historique (sur 1000 ans) procède
d’estimation et de calculs (plus rarement de mesures). De plus, en
remontant sur des milliers et des dizaines de milliers d’années, la
paléosismologie a révélé l’existence de tremblements de terre d’intensité
ou de magnitude très supérieures à celles révélées sur la séquence
historique[2]. Au-delà de la magnitude des séismes, il s’avère également
que les effets de site ne sont pas forcément bien pris en compte. La
réglementation est supposée tenir compte de l’avancée des connaissances
mais les processus sont très longs.
Le séisme survenu le 11 novembre
2019 vient réactiver ces interrogations. Sa magnitude (5,4) dépasse en
effet largement celle du Séisme Majoré de Sécurité (5,2) retenu pour le
dimensionnement des dispositifs de tenue au séisme des sites nucléaires
du Tricastin et de Cruas.
La CRIIRAD demande donc une remise à plat complète du dispositif de
protection contre les séismes, intégrant la publication des dossiers
traitant de la résistance de chaque centrale et un état des lieux
exhaustif de l’état des équipements directement ou indirectement
concernés. Elle demande également que les centrales de Cruas et du
Tricastin soient mises à l’arrêt de manière préventive compte tenu de la
manifestation d’un séisme de magnitude nettement supérieure au Séisme
Majoré de Sécurité
Rédaction : Bruno Chareyron,
ingénieur en physique nucléaire ; Corinne Castanier, responsable
règlementation-radioprotection et Jérémie Motte, ingénieur environnement
à la CRIIRAD.
[1] Centrales nucléaires de
Nogent-sur-Seine, Belleville, Golfech et Cattenom
[2] A Cadarache, par exemple, le SMHV est de 5,3 ; le SMS a donc été fixé
à 5,8 (majoration de sécurité de 0,5) mais les recherches ont révélé dans
un passé plus lointain l’existence de séismes allant jusqu’à une
magnitude 7.
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