Déclaration d'un jeune garçon au tribunal de Tokyo - Retour presse de la soirée du 19 mars 2018

Déclaration au tribunal de Tokyo (résumé)

Le 25 octobre 2017

Mon enfance à Iwaki

      Je suis né à Iwaki, dans le département de Fukushima, et c’est là que je vivais avec mes parents et mon frère, qui a 5 ans de moins que moi.

      Nous avions l’habitude, avec ma famille, d’aller contempler les cerisiers chaque année au printemps, dans un parc tellement beau qu’on montrait souvent à la télévision ses allées bordées de cerisiers en pleine floraison. Ce parc s’appelle la « Forêt de la Nuit ».  L’été, on ramassait des coquillages au bord de la mer ; en automne, on cueillait des champignons dans les bois et puis, l’hiver, on faisait des bonhommes de neige.

      Sur le chemin de l’école, dans un parc près de chez moi, j’avais l’habitude de ramasser des prêles des champs. Ma mère en faisait un plat délicieux. On habitait dans une grande maison avec un grand jardin, et on faisait pousser des myrtilles, des champignons shiitake et des tomates cerises. Avec mes copains d’école, on cherchait des insectes dans l’herbe et on fabriquait des billes avec de la terre.

Ma vie après l’accident nucléaire

      Mais, le 11 mars 2011, cette vie heureuse a pris fin. La « Forêt de la Nuit » et ses cerisiers se trouvent aujourd’hui dans une zone dite « de retour difficile ». Les enfants ne peuvent plus fabriquer de billes de terre,  tout simplement parce que la terre est contaminée,  elle est devenue hautement radioactive.

      Mais le pire, pour moi, c’est le harcèlement dont j’ai été victime à l’école où j’ai dû aller après l’évacuation. Par exemple, je trouvais des insultes écrites sur les dessins que je faisais en classe, ou bien on me traitait de « bacille ». Comme ça continuait, j’ai fini par me dire qu’il vaudrait mieux que je disparaisse.  Vers l’âge de 9 ou 10 ans, au moment de la Fête des étoiles, en juillet, comme le veut la tradition, j’ai fait un vœu : j’ai demandé à mourir.

      Peut-être qu’aux yeux des gens qui ne connaissent pas la réalité de l’évacuation, les réfugiés de Fukushima renvoient l’image de profiteurs. Sans doute imaginent-ils que les réfugiés nucléaires ont touché de fortes indemnités alors que leurs maisons n’ont pas été détruites, n’ont pas subi de dommages matériels, sans doute même croient-ils qu’ils sont maintenant logés gratuitement à Tokyo.

      Je suis convaincu que ce malentendu ne se serait pas produit si TEPCO et le gouvernement japonais avaient communiqué correctement sur l’horreur de la contamination radioactive, s’ils avaient publiquement expliqué  que les réfugiés qui vivaient hors de la stricte zone interdite avaient été très peu indemnisés. Ma famille est dans ce cas.

      Je suis maintenant au collège et n’ai plus aucun lien avec mon école d’avant ;  comme je dissimule le fait que je suis un réfugié, je ne suis plus harcelé.

Les adultes doivent assumer leurs responsabilités

      Ce sont les adultes qui ont construit les centrales nucléaires, ce sont eux qui en tirent des profits,  ce sont eux qui sont responsables de l’accident. Et pourtant, c’est nous, les enfants, qui subissons le harcèlement, c’est nous qui vivons dans l’angoisse de tomber malades un jour, nous qui, souvent, sommes obligés de vivre loin de notre famille.

      Depuis l’accident, plus personne ne peut dire que nous sommes en sécurité, personne, en fait, ne pourra me faire croire que je ne tomberai pas malade. Et pourtant, les adultes de chez TEPCO et du gouvernement nous  disent : « Il n’y a plus de danger dans votre région, ne vous inquiétez pas ! » et nous font revenir dans des endroits qui sont toujours dangereux ! Je pense que lorsque nous serons devenus adultes et éventuellement malades, tous ces gens qui nous auront obligés à retourner vivre là-bas seront déjà morts de toute façon. Et ça, c’est insupportable.

      Nous sommes condamnés à vivre cernés de matières radioactives produites par ces adultes. Je pense que ce serait trop facile qu’ils finissent leur vie sans affronter leurs responsabilités. Il faut qu’ils assument de leur vivant tout ce qu’ils ont fait, la contamination qu’ils ont provoquée,  en contrepartie au moins de tout l’argent qu’ils en ont tiré.

      On ne peut pas nous obliger à retourner sur les terres contaminées, nous ne  voulons plus y vivre !

    Tous les réfugiés, mon père, ma mère, mon frère, moi-même, ont subi un changement radical de leurs vies et de leur quotidien à cause de l’accident nucléaire. Aucun d’entre nous n’aurait  imaginé cela.

     Je demande que TEPCO et le gouvernement assument leurs responsabilités.

    Et je demande aux juges de nous entendre, nous les réfugiés, enfants comme adultes.

***

 Retour presse de la soirée du 19 mars 2018

Bonjour à tous et toutes, merci Kurumi d’avoir eu l’idée d’organiser ce passage par Valence, merci à RECH et Stop Nucléaire 26-07 pour toute l’aide logistique et mediatique, merci à Cris d’être venu présenter le film, merci à Janick Magne et Chiharu Chujo pour les traductions. Cette rencontre avec les mères de famille a été un moment vraiment très émouvant.  

Article du Dauphiné Libéré : http://www.ledauphine.com/drome/2018/03/19/valence-des-familles-japonaises-victimes-de-fukushima-en-visite-a-la-criirad-pour-lancer-un-appel-au-secours

Video de France 3 diffusée au Journal Télévisé du soir le 19 mars :

https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/drome/drome-rencontre-familles-rescapees-fukushima-1443185.html

France Bleu Drôme Ardèche :  https://www.francebleu.fr/infos/climat-environnement/sept-ans-apres-la-catastrophe-de-fukushima-des-meres-viennent-temoigner-a-valence-1521489085

Bon retour à la délégation, à Mami, Kazumi et Hakiko et aux enfants

 

Bruno CHAREYRON  Ingénieur en physique nucléaire  Directeur du Laboratoire CRIIRAD

tel : 04 75 41 82 50 (standard)  tel : 04 75 41 82 57 (poste direct)  E-mail : bruno.chareyron@criirad.org

La CRIIRAD est une association à but non lucratif loi 1901 dont l'objet est d'améliorer l'information du public et sa protection contre les rayonnements ionisants. L'indépendance de la CRIIRAD provient du soutien de ses adhérents. Pour adhérer voir le sitewww.criirad.org

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