Nucléaire Danger immédiat - Et ça se passera près de chez vous !

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Hugues Demeude & Thierry Gadault :

Nucléaire Danger immédiat -

Et ça se passera près de chez vous !

 « Le temps viendra où nos descendants s'étonneront que nous ayons ignoré des choses si évidentes»

Sénèque (4 av. J.-C.-65 ap. J.-C.)

« La transparence est un concept d'escamoteur. » Daniel Pennac, Monsieur Malaussène

 




AVANT-PROPOS

Attention, sujet interdit !

La scène s'est déroulée au siège social d'EDF, le mardi 19 septembre 2017, lors d'un séminaire réservé à la presse.

Après un faux débat entre Jean-Bernard Lévy, le P.-D.G., et une professeure d'économie de Sciences Po (on taira son nom par charité tant ses propos furent d'une banalité affligeante),

dont l'objet unique était d'accréditer la thèse d'un avenir rayonnant (forcément rayonnant) pour le nucléaire, les principaux directeurs d'EDF, chacun à leur tour, ont présenté leur activité.

La matinée se passait gentiment, jusqu'au moment où Antoine Cahuzac, le patron d'EDF Énergies nouvelles, prit la parole. En quelques slides, il mit en pièces la ligne officielle pronucléaire de la maison : selon sa démonstration imparable, l'éolien et le photovoltaïque sont, aujourd'hui en Europe, aussi compétitifs que le parc nucléaire en exploitation en France ! Et bien moins chers que l'EPR (1). En Allemagne ou au Danemark, les derniers appels d'offre pour des parcs éoliens

ont ainsi été attribués sans que les pouvoirs publics n'aient la nécessité de verser la moindre subvention. En clair : le prix de vente sur le marché de gros (qui tourne autour de 30 à

35 euros par MWh) suffit aux investisseurs pour être rentable.

Par comparaison, ce niveau de prix permet seulement à EDF de couvrir les coûts d'exploitation du parc nucléaire actuel. Elle ne perd pas d'argent, mais n'en gagne pas non plus et n'est pas capable de rembourser sa dette astronomique ou de mettre de l'argent de côté pour financer la construction de nouvelles capacités de production (nucléaires ou renouvelables).

La session de questions-réponses qui suivit fut une torture pour ses petits camarades. Face à cette réalité chiffrée émanant de l'intérieur même de la maison, Xavier Ursat, le patron du nouveau nucléaire, fut contraint de faire un aveu de taille : EDF n'a plus l'ambition de faire du nucléaire l'énergie la moins chère du marché, mais seulement d'être moins cher que les énergies carbonées (fioul, gaz, charbon) ! Un an plus tôt, en novembre 2016, en présentant à la presse un nouveau modèle d'EPR moins cher à construire que celui de Flamanville, Xavier Ursat affirmait, pourtant, que le nucléaire resterait « moins cher que la moins chère des énergies renouvelables ».

On pouvait donc s'attendre à ce que la presse fasse, sinon ses gros titres, au moins quelques lignes dès le lendemain, sur cette information. Que nenni, pas un papier ne fut publié, en dehors de sites d'information en ligne très spécialisés, mais à l'audience réduite. Un journaliste du Monde tenta bien de raconter cette matinée incroyable : son papier fut diffusé sur la page d'accueil du site en ligne dès la fin de journée, mais disparut très rapidement, dès le lendemain, alors que le site n'hésite pas à garder en une, durant de longues périodes, les informations importantes.

Écrire sur le nucléaire en France relève décidément d'une mission impossible. De nombreux livres ont déjà été publiés, mais qui en a entendu parler, en dehors des réseaux antinucléaires ? Il n'y a là aucun grand complot visant à faire taire les voix critiques, mais une vieille habitude d'autocensure des médias mainstream quand il s'agit de parler d'EDF et du nucléaire. Tendance dont on commence à peine à sortir, l'effondrement du secteur étant chaque jour plus évident. Il est vrai, également, qu'au même moment où il organisait ce séminaire presse, EDF lançait une grande campagne de

communication et achetait de nombreuses pages de pub dans les journaux

Durant de longues années, le nucléaire fut considéré comme un « non-sujet ». D'abord, le nucléaire, c'était « bon pour le pays », et la vitrine à l'exportation de notre savoir-faire technologique et industriel. On disposait aussi d'une électricité peu chère qui assurait notre « indépendance énergétique». Enfin, le nucléaire était une industrie sûre et non polluante (2)Cela fait tellement longtemps que ces fadaises sont répétées en boucle, martelées par les adeptes du tout

atome que, collectivement, nous avons fini, tous ou presque, par y croire

Cette croyance idiote que l'atome est bon pour le pays est tellement ancrée dans les mentalités que, même quand EDF reconnaît officiellement la meilleure compétitivité des énergies renouvelables par rapport au nucléaire, quasiment personne n'ose en parler ! Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater que les rares voix critiques sont systématiquement taxées d'être antinucléaires, un qualificatif destiné à déconsidérer l'opposant, forcément un idéologue obtus, et à tuer tout débat dans l'œuf. Pourtant, même les antinucléaires peuvent présenter des arguments valables qui méritent d'être écoutés et discutés.

Quand les critiques deviennent trop fortes ou trop précises pour passer inaperçues, le système nucléaire évite alors de répondre à chaud, laisse passer un peu de temps pour que le buzz s'estompe, avant de reprendre la main et de retourner, à coups d'arguments trop souvent biaisés, l'opinion publique.

Un exemple de cette redoutable efficacité de la communication d'EDF ou des chantres du tout-nucléaire : demandez à n'importe qui le montant de la dette financière de notre électricien national. Les mieux informés, y compris parmi les journalistes économiques, vous répondront : 34 milliards d'euros. Or ce chiffre, déjà considérable, est faux : fin juin 2017, l'endettement financier s'élevait à 61 milliards, soit près du double !

Comment un tel tour de passe-passe a-til été rendu possible ? La comptabilité des entreprises permet, de façon tout à fait légale, d'optimiser le niveau de la dette en déduisant des sommes qui n'ont pas grand-chose à voir pour faire apparaître une notion artificielle baptisée « dette nette ». Généralement, les entreprises déduisent leur trésorerie (l'argent en banque en fin d'année), et ainsi la différence entre la dette financière et la dette nette est réduite. EDF pousse la logique jusqu'à retrancher une ligne baptisée « actifs financiers disponibles à la vente » (évalués à près de 24 milliards d'euros), sans que l'on sache précisément quels sont ces actifs, et comment leur valeur est calculée.

Un autre exemple de la propagande pronucléaire qui sévit en France ? L'Allemagne. Depuis l'annonce de sa sortie définitive du nucléaire au printemps 2011, décision prise par Angela Merkel après l'accident de Fukushima, tous les défenseurs du nucléaire tricolore affirment que les émissions de gaz à effet de serre, à commencer par le gaz carbonique, ont explosé outre-Rhin, le pays ayant remplacé ses capacités de production nucléaire par du charbon. Durant l'été 2017, France Stratégies, lointain descendant du Commissariat général du plan des années 1970, s'est même laissé aller jusqu'à publier une note d'analyse annonçant l'échec de la transition énergétique allemande (3).

Tout cela est faux. Entre 1990 et 2015, les émissions de CO2 ont baissé de 24% (4). Il est vrai que depuis 2011, la baisse est moins rapide que durant les années précédentes, mais la cause est tout autre : comme tous les pays européens, l'Allemagne a remplacé sa production d'électricité à partir du gaz par l'exploitation du charbon, le prix de cette matière première s'étant effondré depuis le début des années 2000 sous l'effet des exportations massives des États-Unis qui lui préfèrent le gaz de schiste. Le développement des énergies renouvelables est aussi une réalité : 32,6% de l'électricité consommée outre-Rhin en 2016 était produite par ces énergies (5). Ce sont bien les renouvelables qui remplacent le nucléaire et non pas le charbon.

Une dernière précision : le tarif de l'électricité y est de 80% plus élevé que celui en vigueur en France. Exact, mais la facture globale payée par un ménage allemand est similaire à celle d'un ménage français (hors chauffage électrique) : économies d'énergie, isolation des logements et efficacité énergétique ont un véritable sens outre-Rhin. Il suffit de consulter les statistiques annuelles publiées par les autorités fédérales pour vérifier que le discours des nucléocrates français

est mensonger.

Nous pourrions continuer d'égrener la longue liste des mensonges, dissimulations, contre-vérités ou demi-vérités de l'État nucléaire. C'est, en grande partie, le sujet de ce livre.

Mais il faut reconnaître à ses représentants un sacré savoir-faire pour continuer d'entretenir, sans montrer le moindre signe de doute, la légende d'un nucléaire sûr, non polluant, à bas coût et conquérant.

L'un des visages les plus connus du clan pronucléaire est celui de Valérie Foulon, la secrétaire générale du Syndicat français de l'énergie nucléaire (SFEN). Certainement aussi la plus douée. Débattre avec, ou plutôt, contre elle constitue une mission impossible : sur un ton monocorde, Valérie Foulon débite des platitudes qui datent des années 1970. Sans jamais répondre à une question directe ou à une provocation, elle affirme que tout va bien dans le meilleur des mondes, que les solutions existent ou existeront bientôt Pour l'avoir affrontée l'été dernier, au cours d'un débat télévisé sur le démantèlement des centrales et la gestion des déchets, je dois avouer qu'elle est d'une redoutable efficacité et d'un simplisme désarmant. Sa ligne : affirmer qu'il n'y a aucun danger avec l'industrie nucléaire et que le secteur trouvera une solution aux problèmes des déchets, qui se posent déjà depuis les années 1950Que le nucléaire est la seule réponse aux énergies carbonées (fioul, charbon, gaz)Le fait que la facture du projet de site d'enfouissement en grande profondeur (Cigéo à Bure dans la Meuse) soit passée de 14 milliards d'euros à 25 milliards en moins de cinq ans ne l'a pas fait plus réagir.

À la différence de Kaa, le serpent du Livre de la jungle, son regard n'est pas hypnotique, mais vide de toute émotion. Cependant comme Kaa, son discours est invariable : « Faites-moi confiance ! »

Pis, on a beau la traiter de menteuse, Valérie Foulon demeure, en toutes circonstances, impassible et d'une parfaite courtoisie. Allant jusqu'à serrer la main de son contradicteur et à lui souhaiter « une bonne journée » une fois le débat terminé. Insupportable !

Je l'avoue, j'ai cru moi aussi aux principaux couplets de ce discours officiel de l'État et d'EDF. Quasiment jusqu'en 2013 quand j'ai commencé à enquêter sur notre électricien national. Cette enquête, qui a débuté par un dîner organisé par un ami pour me faire rencontrer un membre de la direction générale d'EDF, s'est terminée par l'écriture d'un livre enquête intitulé EDF, la bombe à retardement, et publié en novembre 2014 chez First Éditions. Deux ans plus tôt, j'avais publié une première enquête sur Areva (6).

Dans ces deux livres, j'annonçais les faillites respectives de ces deux fleurons de l'industrie française. En 2015, Areva appelait l'État au secours, annonçait un plan de suppressions d'emplois massif et sa scission en trois parties. En 2016, c'était au tour d'EDF de réclamer l'aide de la puissance publique et de lancer un plan de suppressions d'emplois. En 2017, le sauvetage financier des deux entreprises nous aura coûté 7,5 milliards d'euros. Hélas, ces sauvetages ne sont que très provisoires : entre les factures non encore provisionnées de l'industriel et l'endettement astronomique de l'électricien, nous n'avons pas fini de rembourser les conséquences de leur

folie des grandeurs. Ce nouveau livre, coécrit avec Hugues Demeude, est consacré au naufrage du complexe nucléaire et à la faillite de l'État nucléaire. Cette situation catastrophique intervient

au moment même où les industriels sont confrontés à la fin de vie des centrales nucléaires. Leur gestion aventureuse et le dogme du tout-nucléaire, rendant impossible la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables, nous ont pris en otage. L'accident nucléaire grave

n'est plus un risque très hypothétique, mais une menace réelle. Comme nous l'a confié un haut responsable du secteur : « Aujourd'hui, la question n'est plus de savoir si un accident grave est possible en France mais quand aura-til lieu ? »

Il est temps de raconter comment et pourquoi 67 millions de Français se retrouvent aujourd'hui enfermés dans cette impasse si dangereuse. Il est temps que nos concitoyens disposent de tous les éléments d'information pour imposer l'ouverture d'un débat national depuis trop longtemps confisqué. Et pourquoi pas, faisons ce rêve un peu fou, pour obtenir l'organisation d'un référendum national sur l'avenir du nucléaire en France ?

THIERRY GADAULT

(1). L'EPR est le nouveau réacteur nucléaire, dit de troisième génération, mis au point par Areva (qui s'appelait alors Framatome) dans les années 1990 avec Siemens.

(2). Lire à ce propos en annexe 4 les fiches signalétiques de toutes les centrales françaises classées par région, avec notamment les problèmes ou défauts qui y ont été constatés.

(3). Cette note, intitulée « Transition énergétique allemande : la fin des ambitions ? », est disponible sur le site de l'organisme : www.strategie.gouv.fr/publications/transition-energetique-allemande-fin-ambitions

(4). Le journaliste français Vincent Boulanger a publié, au printemps 2017, une étude exhaustive de la transition allemande : Transition énergétique : comment fait l'Allemagne ? Heinrich Böll Stiftung France- Les éditions Les Petits Matins, 4 avril 2017.

(5). Début novembre 2017, la production cumulée des dix premiers mois de l'année en électricité verte était déjà supérieure à l'ensemble de la production de 2016.

(6). Areva, mon amour. Enquête sur un pouvoir qui les rend fous, François Bourin, 2012.

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